Le Niger a officiellement adopté un nouvel hymne national : “Pour l’honneur de la patrie”. Assurément, l’hymne précédent, chantant un paternalisme déférent sur une musique et des paroles composées par trois ressortissants de l’ancienne puissance coloniale, portait en lui des faiblesses structurelles qu’il fallait changer. Mais que peut-on déceler du contexte historique, social, et politique dans lequel ce changement a eu lieu ? Est-ce un événement isolé ou est-ce lié à un bouleversement plus profond ? À la vue des défis sécuritaire, énergétique, économique, et institutionnel auxquels le Niger fait face, cet investissement culturel peut-il apporter plus qu’une intervention symbolique ?
Pour comprendre les motivations de ce bond en avant, il faut regarder en arrière.
Pourquoi réformer l'hymne national
Depuis plus d’une décennie, le Niger a vu son intégrité politique s’effriter par la dégradation de sa situation interne – d’abord avec le coup d’Etat de 2010 puis lors de la réélection de Mahamadou Issoufou en 2016. De plus, l’aggravation des tensions dans le Sahel en raison non seulement des campagnes de terreur d'Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et de Boko Haram, mais aussi des pressions migratoires transsahariennes exacerbées par le changement climatique (sécheresse et famine) poussent la nation dans ses limites.
Dans ces conditions, la réforme de l’hymne national annoncée en 2019 constitue un moyen peu onéreux de prévenir un effritement politique et social supplémentaire tout en renforçant un sentiment national mis à rude épreuve. Lorsque la chanteuse Aichatou Ali Soumaila dite “Dan Kwali” explique qu’il manque à l’hymne “un air musical qui reflète la culture nigérienne”, la critique porte tout autant sur les connotations coloniales que sur son rôle de cohésion nationale.
Si l’hymne de 1961 était intitulé “La Nigérienne”, quelque soixante ans plus tard, la question se pose : qu'est-ce qui constitue un citoyen nigérien ? À l’heure des indépendances, la réponse reposait sur l’évincement du colonisateur, la France, comme dénominateur commun. Mais déjà dans les années 1970, la souveraineté nationale apparaissait comme plus fluide, plus complexe, plus fragile.
L'adoption d'un nouvel hymne est importante pour deux raisons. D’une part, les paroles ont été écrites par un “groupe d’experts nationaux”. D’autre part, comme son titre le suggère, il invite le peuple à défendre la “patrie” dont l’honneur est attaqué de dehors (terrorisme) comme dedans (corruption). Bien sûr, le mot “Niger” apparaît six fois dans le nouvel hymne – contre trois fois dans l’ancien. Mais “l’Afrique” fait son apparition trois fois dans le nouvel hymne et invite à s’ancrer dans le cadre national pour mieux le dépasser et réaliser ce vieux rêve qu’est le panafricanisme.
Pour reprendre le mot du ministre de la Renaissance culturelle, Assoumane Malam Issa, la “liberté nouvelle” évoquée en 1961 n’est “plus du contexte”. Au contraire, il faut “construire ensemble” un monde de justice dans lequel le Niger est “la fierté de l’Afrique”.
Construit sur les vestiges de l’ancien, le nouvel hymne garde l’appel “en avant” mais c’est “l’Afrique qui avance”. Il continue “d’être debout” mais pas seulement à Niamey : “dans le ciel d’Afrique et dans tout l’univers”. Coïncidence, c’est à Niamey qu’en 2019, le projet de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) a été lancé lors de la 18ème session de la Conférence de l’Union africaine.
Vers une redéfinition de l'identité nationale
S’il y a donc un changement symbolique dans la politique du Niger, il est en direction d’une renaissance africaine. Et le succès de cette renaissance repose sur la redéfinition des identités nationales. La réforme de l’hymne ouvre ainsi un espace dans lequel cette redéfinition peut s’opérer. Elle donne au citoyen nigérien l'opportunité de trouver sa place dans une nouvelle vision de l'identité nationale non pas en compétition mais en collaboration avec la construction continentale de “l’Afrique qui avance”.
En lui seul, l’hymne ne change rien. Mais associé à un réseau de symboles – drapeau, devise, traditions, etc. – il contribue à la réforme d’institutions nationales (notamment le système éducatif et juridique) engagée par le nouveau gouvernement du président Mohamed Bazoum. Ainsi, lors de la visite du secrétaire d’État américain, Anthony Blinken en mars 2023, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massoudou a déclaré : “Le Niger est un nouveau pays”, sans renier sa riche histoire millénaire.
Les paroles et la musique du nouvel hymne ne font pas que représenter la nation, elles participent à sa (re)formation en donnant au peuple qui la constitue le matériel (mots, musique), l’opportunité (unissonnance) et la direction (thème) pour vivre un nouveau projet étatique avec pour horizon la construction de structures institutionnelles où les voix qui le chantent pourront être entendues démocratiquement.
Comme Stuart Hall et Benedict Anderson nous l’ont suggéré, la nation elle-même est une construction symbolique qui, comme tout symbole, invite à la contestation – aucun symbole n’est éternel. La réforme de l’hymne national du Niger participe donc à cette expérience démocratique de contestation et de changement. Cela dit, elle révèle aussi la complexité de constructions identitaires culturelles et politiques au sein des nations qui s’identifient comme postcoloniales.
N’est-ce pas légitimer la résilience de l’ancien colonisateur que de réécrire l’hymne en français ? Mais l’écrire en Haoussa (langue parlée par plus de la moitié de la population) ou en Zarma (langue parlée majoritairement autour de la capitale, Niamey), n’est-ce pas exclure un groupe ethnique au profit d’un autre et prolonger les divisions d’une nation multiethnique et multilinguistique ?
Si “Pour l’honneur de la patrie” ne peut résoudre tous les problèmes du Niger, il a le mérite de placer ces questions au centre du débat et d’ouvrir à la population un espace où elle peut, en miroir de son nouvel hymne, exercer son imaginaire démocratique pour construire la vision de son avenir – l’inverse de l’idéologie coloniale.
Author: Jordan Gonzalez
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